Brigitte Morina – DeLaneau : Brigitte Morina, directrice commerciale
Toutes nos montres sont uniques, et elles s’adressent en priorité aux femmes. Chaque cadran est réalisé à la main, nécessitant parfois 70 heures de travail de la part de nos émailleuses, qui sont des artisans exceptionnels. Les montres DeLaneau sont de véritables œuvres d’art et en tant que telles elles ne « parlent » pas forcément à tout le monde. Souvent nos clientes nous demandent de concevoir des pièces sur-mesure, et nous nous attachons alors à bien comprendre leur désir profond, à appréhender leurs souhaits pour créer exactement le modèle dont elles rêvaient.
Quel est votre modèle préféré ?
Les montres DeLaneau se distinguent toutes par un raffinement extrême auquel je suis très sensible, mais j’accorde une importance spéciale à deux thèmes en particulier : les oiseaux et les cerisiers. La symbolique des oiseaux me plait énormément, qu’il s’agisse du phoenix, du colibri ou du martin-pêcheur. Quant au cerisier, je trouve cet arbre magnifique et très féminin, ses déclinaisons offrent de nombreuses possibilités d’expression artistique. Egalement ultra féminine, l’architecture de la boîte Open Magic tranche radicalement avec ce que l’on trouve sur le marché des montres pour dame. Enfin, comme les complications horlogères m’ont toujours plu, notre ligne 1608 avec heures et minutes sautantes tient une place à part dans mon cœur, car son cadran sans aiguille permet une large palette de décorations des métiers d’art tels que la gravure ou l’émaillage.
Les hommes rentrent-ils souvent dans votre boutique de Genève pour offrir une montre à la femme qu’ils aiment ?
Oui, mais autant que les femmes. Certains viennent seuls pour leur offrir un cadeau, certains viennent en couple, mais nous voyons également des clientes choisir seules le modèle de leur choix. Je me souviens aussi d’un jeune couple d’Autrichiens venu à la boutique, dont la jeune femme est ensuite revenue avec son père qui tenait à lui faire plaisir en parant son poignet d’une montre exceptionnelle.
De quels pays proviennent les clientes les plus assidues de la marque ?
En fait elles proviennent de toutes les zones géographiques, sans domination particulière de tel ou tel pays. Pour être tout à fait honnêtes nous aimerions bien accueillir une clientèle locale plus importante, mais nous venons d’ouvrir notre boutique à Genève et cela viendra avec le temps. Cette année bien sûr, comme partout ailleurs, les Chinois se sont intéressés à nos montres. Même s’ils ne connaissent pas bien la marque, son approche artistique les a séduits. Nous avons aussi une boutique à New York, un show-room à Moscou et venons d’ouvrir en octobre une représentation à Knightsbridge à Londres.
Est-ce que les femmes ont une place particulière dans la société ?
Oui, mais sans que cette situation découle d’une démarche volontaire, cela s’est fait naturellement. Par exemple nous avons rencontré beaucoup de candidates et candidats pour le poste de COO que nous venons de pourvoir, et au final le meilleur dossier et la personnalité qui se sont imposés étaient ceux d’une femme. En tout, notre société doit compter 70% de femmes toute activité confondue.
DeLaneau vient de se séparer de son emblématique CEO Cristina Thévenaz, quelles sont dorénavant les grandes orientations à prendre ?
Nous sommes en train de recruter un nouveau CEO, mais dès le départ de Cristina nous avons procédé à une remise à plat de la situation avec notre actionnaire principal, qui possède un sens du business extraordinaire et une vision à long terme. Nous avons enchainé les brainstormings en impliquant tout le monde dans la société, dont la structure hiérarchique est très plate. Notre premier volet stratégique a été défini et nous avons engagé un nouveau chef de produit et des designers. Le rôle du CEO se jouera pleinement sur le long terme. Tout reste à faire. Aujourd’hui notre capacité de production s’avère limitée, nous ne disposons pas de stock dans nos boutiques. Nous devons nous doter d’une ligne de modèles en séries limitées plus facilement disponibles que le sur-mesure pour fournir les nouveaux points de vente. Cependant nous ne voulons pas devenir une de ces grandes marques, DeLaneau a toujours été petite et doit entretenir son caractère familial et préserver son âme. Nos clientes n’achètent pas une marque, elles souhaitent partager une passion pour les métiers artisanaux. Cette liberté artistique peut être protégée tout en structurant son univers et en construisant son développement, sans doute en créant des thèmes comme dans les galeries d’art. C’est un très grand challenge dont j’aimerais pouvoir exposer le concept d’ici les salons horlogers de Genève ou Bâle.
Peu de femmes assurent les fonctions de directrice commerciale dans l’horlogerie, est-ce plutôt un atout ou plutôt un obstacle ?
En tous cas je ne l’ai jamais ressenti comme un obstacle infranchissable. Je me souviens d’un client à Moscou débarquant au service après-vente en demandant à parler au directeur, et qui n’a au départ pas voulu croire qu’il s’agissait de moi. Après avoir discuté avec lui et expliqué comment nous allions résoudre son problème, il s’est avoué embarrassé d’avoir initialement réagi ainsi. Lors de mes voyages au Moyen-Orient, où jeunesse et féminité ne sont pas des sésames, le premier contact n’est pas toujours décisif. En indiquant clairement quelles sont mes intentions dès le début, les situations se dénouent rapidement et au bout du compte les relations s’avèrent très solides.
Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui veulent se profiler dans l’horlogerie et la joaillerie à un poste non lié à la création ou la production ?
Il faut savoir rester soi-même, être appréciée pour ce que l’on est, avoir du courage, apprendre, y croire, et transmettre sa passion. Au début je n’avais jamais pensé arriver à ce niveau. Le fait de diriger la boutique Embassy de St Moritz constituait déjà pour moi un aboutissement en soi, le lieu était magique, les collections changeaient tous les ans, c’était merveilleux. J’ai eu la chance de pouvoir compter sur des mentors tels que Mr Kurt König et Beat Weinmann (Embassy), ou encore Rolf Schnyder (feu CEO d’Ulysse Nardin), qui m’ont fait confiance en m’incitant à rester fidèle à ma nature. Certes je ne suis pas la mieux organisée, certes j’ai commis des faux pas, mais j’ai toujours fait ce que je disais et en retour de leur confiance je leur ai beaucoup donné. Il faut savoir être ouvert, ne pas avoir peur. J’adore la vente mais une relation se construit sur du solide et le long terme, il faut pour cela se montrer fiable et mériter cette confiance.