Interview : Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari

« Les vainqueurs de l’équation actuelle sont les marques fortes et réactives. »

Le jury du GPHG a sélectionné quatre montres Bulgari pour l’édition 2016, laquelle auriez-vous le plus de plaisir à voir lauréate de sa catégorie ?

L’Octo Finissimo Répétition Minutes forcément, car elle incarne cette fusion du style italien minimaliste très moderne et du savoir-faire horloger suisse très innovant dans son expression, notamment acoustique. Bulgari réexprime la sonnerie dans un domaine très élégant tout en étant venu à bout du challenge acoustique pour en faire la répétition minutes la plus plate du monde. Si c’est une autre montre qui gagne nous serons très contents aussi, bien sûr ! Nous avions observé en 2014 qu’une récompense au GPHG est un argument supplémentaire en boutique pouvant aider à convaincre un client indécis.

Où en est le redéploiement de votre outil de production et quel a été l’impact du franc fort dessus ?

gmt_n48_fra_ipad-398L’infrastructure suisse s’est finalisée l’an passé et reste inchangée avec quatre établissements manufacturiers : le site de fabrication du Sentier qui a énormément évolué depuis l’an passé, celui de Saignelégier pour les boîtiers, la Chaux-de-Fonds pour les cadrans, et Neuchâtel pour l’assemblage. Le périmètre d’effectif est resté stable cette année, et nous programmons des plans de production 2017 qui devraient être légèrement supérieurs à ceux de 2016. Le franc fort nous a été salutaire, il nous a forcé à être plus efficaces, plus productifs, à fabriquer plus de produits horlogers avec le même effectif afin de pouvoir absorber sa hausse. Pour autant nous respectons certaines mesures de prudence, nous ne prévoyons pas d’engagement supplémentaire, sauf dans la joaillerie où nous ouvrons une nouvelle unité de production à Valenza, dans le Piémont, sur un nouveau site qui démarrera ses activités en janvier avec 700 personnes, dont la moitié est issue d’autres ateliers.

Quelle analyse faites-vous de l’état actuel du marché horloger ?

Le ralentissement que l’on observe affecte tous les segments de prix, pour des raisons conjoncturelles globales (économiques et politiques), mais aussi structurelles avec le retrait des Chinois et l’arrivée des montres connectées, qui entraine des pertes de volume dans le segment de prix inférieur à CHF 1000.- pour les marques traditionnelles. Pour revenir sur les consommateurs chinois, ce sont les premiers acheteurs de produits de luxe dans le monde et certaines marques en dépendent à 70%. Cela fait quatre ans que la lutte anti-corruption agit défavorablement sur les ventes, mais les obstacles se sont multipliés depuis un an : le renforcement des contrôles douaniers en Chine et le doublement des droits de douane, le terrorisme qui dissuade les Chinois à voyager, l’introduction du visa biométrique pour l’espace Schengen dont l’obtention était au départ un casse-tête logistique, la pression de leur gouvernement pour acheter en Chine, et enfin les cours des devises qui ont rendu certains pays beaucoup moins intéressants pour le tourisme.

Comment tirer son épingle du jeu ?

Les vainqueurs de cette nouvelle équation sont les marques fortes, réactives, dotées d’un très bon réseau de distribution en Chine permettant de compenser localement une partie de ce qu’elles ont perdu hors de Chine. Et comme les acheteurs chinois changent de destination fréquemment et rapidement en fonction des taux de change et de la sécurité, elles doivent pouvoir s’adapter très vite à de telles variations. Ainsi les touristes chinois sont passés de la France et de la Suisse au Japon et à l’Australie en 2015 du fait d’un rapport yen/renminbi très favorable, puis en Corée en 2016, et l’été dernier après le vote du Brexit et la chute de la livre, nous avons assisté en 48h au déplacement des achats de luxe à Londres !

Comment résiste Bulgari ?gmt_n48_fra_ipad-397

Beaucoup mieux que la moyenne ! Notre stratégie intègre notre identité de joaillier (une marque qui crée des produits précieux intemporels de très, très haute valeur) et de marque qui marie le savoir-faire horloger suisse au design italien. Qu’il s’agisse de la répétition minute la plus plate du monde ou de pièces serties, cette symbiose entre l’art horloger suisse et l’art joaillier du design italien s’opère dans une gamme de prix dont le segment reste prédominant en termes de valeur. Le prix moyen de nos montres se situe entre CHF 8000.- et 9000.- et nous développons logiquement beaucoup de créativité pour des montres entre CHF 5000.- et 50’000.-, avec des nouveautés joaillières de fin d’année allant jusqu’à CHF 200’000.- et des nouveautés masculines autour de notre icone de haute horlogerie l’Octo Finissimo atteignant CHF 160’000.-.

Qu’en est-il de la joaillerie ?

La joaillerie reste l’activité principale de Bulgari et continue à croître de façon significative. D’une manière générale ce marché se développe structurellement plus rapidement que l’horlogerie. Les matériaux sont précieux mais restent les mêmes, la technologie beaucoup plus simple induit des temps d’adaptation plus courts (6 mois pour lancer une nouvelle collection au lieu de 18 pour les montres), le contenu émotionnel de la joaillerie est très fort et lui confère une résilience solide au marché, l’achat de bijoux correspond à des moments émotionnels de la vie (célébration de rencontre, mariage, anniversaire, nouveau mariage, etc.) plus fréquents que pour l’horlogerie, et il n’y a qu’une dizaine de marques globales qui ont une part de marché selon les experts de 20 à 25%, ce qui leur laisse un gros potentiel.

Où en est votre Diagono Magnesium connectée ?

Nous avons repoussé son lancement au public en janvier 2017 car nous lui avons ajouté une nouvelle fonction inédite : en plus de la partie digitale liée à la protection des données confidentielles (bancaires, mots de passe, numéros de passeports, de cartes de fidélité, etc.) obtenue par le cryptage de WISeKey, la Diagono Magnesium pourra être utilisée pour effectuer des achats partout dans le monde grâce à notre partenariat avec Mastercard. Comme les matériaux conducteurs sont néfastes à la qualité des transmissions, ce qui limite l’usage de matériaux précieux, son boîtier intègre trois composants : céramique, magnésium et PEEK, un polymère non conducteur très résistant aux chocs et aux rayures. Le tout, bien sûr, avec un mouvement automatique.

Rédacteur en chef des magazines GMT et Skippers dont il est le cofondateur depuis 2000 et 2001, Brice Lechevalier est aussi à la tête de WorldTempus depuis son intégration dans la société GMT Publishing, qu’il dirige en tant que co-actionnaire. Il a par ailleurs créé le Geneva Watch Tour en 2012 et conseille le Grand Prix d’Horlogerie de Genève depuis 2011. Côté nautisme, il édite aussi le magazine de la Société Nautique de Genève depuis 2003, tout en étant membre fondateur des SUI Sailing Awards (les prix officiels de la voile suisse) depuis 2009 et du Concours d’Elégance de bateaux à moteur du Cannes Yachting Festival depuis 2015.

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