Nicola Andreatta : Directeur Général de Tiffany & Co. Horlogerie

Quelles étapes ont précédé le lancement mondial des montres Tiffany & Co. depuis votre arrivée en 2013 ?

Tout d’abord il a fallu m’imprégner de l’ADN Tiffany, et j’ai passé les premières semaines dans les archives pour comprendre qui nous étions et ce que nous faisions depuis les premières montres Tiffany en 1868. Il me paraît primordial de respecter ses racines pour connaître un succès durable. Trop de marques perdent leur identité à vouloir courir derrière de nouveaux clients, et ne s’en remettent pas. Or, j’ai découvert un patrimoine horloger incroyablement riche, distingué par des brevets et des prix dans les grands concours internationaux*. Ensuite nous avons été absorbés par l’étude et l’adaptation du design, afin que notre première collection CT60 évoque notre histoire et reflète cet héritage qui s’était égaré. En nous appuyant sur le passé artisanal de la marque et son attention pour les détails, nous avons tenu à refaire vivre la crédibilité horlogère dont jouissait Tiffany & Co à l’époque où elle possédait une manufacture à Genève. Parallèlement nous avons recruté des spécialistes à tous les niveaux, notamment pour notre base opérationnelle en Suisse, et tissé un réseau de fournisseurs ultra-compétents pour tous les composants, tout en débutant la formation de nos équipes.

 

Peut-on parler d’un Tiffany avant et après 2015 ?

L’horlogerie est un projet stratégique pour Tiffany & Co, qui y investit des montants énormes et à long terme, qu’il s’agisse du marketing, de la production, des boutiques et des ressources humaines.  Ce n’est pas parce que vous vendez des bijoux dans vos boutiques que vous y improvisez la vente de montres. Surtout nous ne tenons pas être perçus comme des joailliers vendant des montres. C’est une approche consistante à 360° : nous modifions l’aménagement des magasins et la philosophie des employés pour qu’ils aient confiance dans leurs connaissances des produits. Ainsi nous avons commencé à former 3700 collaborateurs dans le monde, par le biais de 38 formateurs internes et des consultants extérieurs. Les boutiques vont être transformées pour accueillir des espaces horlogers, avec des matériaux différents et une décoration plus masculine, comme à Chicago au début de l’année et à Genève en mai.

 

Combien de temps vous donnez-vous pour tenir le pari ?

Encore une fois il s’agit d’un projet à long terme qui va renforcer l’image de Tiffany et lui donner le statut d’acteur global du luxe. Aujourd’hui, nous sommes un joaillier qui vend beaucoup plus de produits que la majorité de ses concurrents, et l’horlogerie va nous ouvrir de nouveaux horizons, tout en nous permettant de réaliser des économies d’échelle. Cette nouvelle approche a séduit Tiffany au plus haut niveau, et même si la culture américaine est habituée à aller vite, tout le monde a conscience qu’il s’agit d’un autre univers et qu’il nous faudra quelques années. Si l’on prend les marques qui ont percées avec succès ces dernières années, telles que Chanel ou Richard Mille, il leur a fallu entre cinq et dix ans pour les plus rapides.

 

A quels clients vous adressez-vous en priorité ?

L’avantage incontestable pour Tiffany réside dans le fait que nous allons gagner de nouveaux clients, en travaillant tout d’abord sur ceux qui entrent dans nos 300 boutiques. Nous visons donc avant tout les hommes entre 35 et 50 ans, qui aiment le design américain ou souhaitent une montre simple et élégante avec un bon rapport qualité-prix. Ils sont ainsi très nombreux à entrer dans nos boutiques pour acheter un bijou à l’élue de leur cœur. Dans un second temps, nous donnerons la possibilité aux détaillants multimarques de proposer également nos montres à leurs clients.

 

Comment considérez-vous le marché suisse ?

Très peuplé ! Mais notre toute nouvelle boutique genevoise de 550m2 sur deux étages doit devenir notre flagship store horloger, donnant accès au plus grand choix de montres et à des séries limitées. Nous y attendons les Suisses bien sûr, mais également les expatriés et les touristes. C’est notre plus grande boutique en Europe et la Suisse doit devenir l’équivalent pour les montres de ce que représente New York pour les bijoux. Savez-vous que notre flagship store sur la 5e Avenue réalise le deuxième plus gros chiffre d’affaires au monde d’une boutique mono-marque après celle d’Apple ? Sur ses cinq étages, l’un est consacré entièrement à Patek Philippe.

 

Quelle est votre relation avec Patek Philippe ?

Tiffany était le premier détaillant américain de Patek Philippe en 1854, et neuf de nos boutiques américaines vendent leurs produits. Ensemble nous créons régulièrement des séries limitées Tiffany, que l’on retrouve parfois aux enchères à des prix bien plus élevés que les références normales. Comme d’habitude nous leur avons rendu visite à Baselworld.

 

Vous aviez créé votre propre société en 2003, vous êtes un entrepreneur, cela ne vous manque pas ?

Pas du tout, c’est la même chose en fait ! J’ai commencé tout seul il y a deux ans pour créer l’entité horlogère de Tiffany, mais avec cette force de frappe tout est plus facile et plus rapide, notamment auprès des fournisseurs. Evidemment la responsabilité est également bien plus importante que celle que j’ai pu avoir auparavant. J’adore ce que je fais, j’ai toujours autant de passion, mais à une échelle supérieure !

 

*lire à ce propos « Tiffany, retour du géant américain » sur WorldTempus.com 



Rédacteur en chef des magazines GMT et Skippers dont il est le cofondateur depuis 2000 et 2001, Brice Lechevalier est aussi à la tête de WorldTempus depuis son intégration dans la société GMT Publishing, qu’il dirige en tant que co-actionnaire. Il a par ailleurs créé le Geneva Watch Tour en 2012 et conseille le Grand Prix d’Horlogerie de Genève depuis 2011. Côté nautisme, il édite aussi le magazine de la Société Nautique de Genève depuis 2003, tout en étant membre fondateur des SUI Sailing Awards (les prix officiels de la voile suisse) depuis 2009 et du Concours d’Elégance de bateaux à moteur du Cannes Yachting Festival depuis 2015.

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