Chantre du métissage culturel et du luxe planétaire, le fondateur de la Creative Academy de Richemont et président du conseil culturel de la FHH, Franco Cologni s’est drapé d’humour pour comparer son introduction au prologue du bouffon de la Commedia dell’Arte au XVIIe siècle. A peine provocateur, l’ancien patron de Cartier a estimé que ces 6 années de Forum avaient vu autant de changements sur terre que pendant les 60 années précédentes. Du haut de ses 80 ans, Franco Cologni a opposé le fonctionnement des « vieux » basé sur l’élitisme, la hiérarchie et le structuralisme, à celui des « jeunes » s’appuyant sur l’interactivité et les réseaux.
Utiliser internet
Ascension, éducation, interaction et motivation seraient d’après lui les sésames que les marques devraient considérer pour que les valeurs des jeunes rejoignent celles du luxe. Mettre la technologie au service du dialogue et de la participation, promouvoir un contenu culturel et la beauté de l’objet, favoriser l’ascension de l’individu en tant que personne reconnaissable également par un style, autant de pistes à explorer. Co-fondatrice de l’agence Positive Luxury, Diana Verde Nieto a abondé dans son sens. D’après elle, les Millennials (la génération qui n’a pas connu le monde sans internet) conditionnent tout achat par une visite sur Google, les orientant sur les « qui, quand, comment, pourquoi » avant de façonner leurs décisions. Les Millennials prennent des conseils sur la toile, s’informent longuement sur les sites, veulent connaître l’origine des biens et services qu’ils consomment, les gens qui les conçoivent, effectuent de longues recherches avant l’acte d’achat. En matière d’horlogerie, des sites reconnus pour leur expertise tels que worldtempus.com jouent ainsi un rôle de prescripteur considérable. Représentant la 6e génération de la famille Hermès, Axel Dumas a précisé que la communication devait aussi faire rêver, en expliquant comment la marque qu’il dirige aujourd’hui avait su rester contemporaine quelque soit son époque depuis 1837.
Réfléchir lentement
Pour le charismatique patron de la marque farouchement attachée à son indépendance (« et donc à sa liberté ») qu’est la maison Hermès, les familles comme les sociétés et les générations doivent nourrir un projet commun qui entraîne chacun de ses membres et soude l’ensemble. Axel Dumas prône également l’équilibre géographique de ses activités et une juste répartition des métiers, « car on ne sait pas de quoi demain sera fait ». Gage de durée, la qualité doit passer avant les résultats financiers, l’argent être un moyen et non un but, l’action s’inscrire dans le temps long. « Je travaille pour la prochaine génération » a-t-il expliqué en commentant le récent engagement d’Hermès dans le lancement d’une marque en Chine avec des artisans locaux, précisant : « Nous nous donnons 20 ans pour faire le bilan ». Auteur des livres Eloge de la lenteur et Lenteur mode d’emploi, Carl Honoré a cité les grands capitaines d’industrie qui incitent leurs troupes à ralentir pour au bout du compte atteindre leur but plus rapidement. Déjà en 1917, Pasternak déclarait : « A une époque marquée par la rapidité, il convient de réfléchir lentement ». L’adepte du slow movement a donc énuméré les vertus du « mieux plutôt que vite » sur les performances professionnelles, mais également sur la santé et les relations personnelles, évoquant les siestes de 21 minutes recommandées par la NASA ou les effets bénéfiques de la méditation sur les connexions neuronales du cortex. L’écrivain et philosophe Frédéric Lenoir ne l’a en rien contredit, soulignant au contraire que les scientifiques contemporains ont prouvé ce que les sages avançaient il y a 2500 ans à propos des bienfaits ressentis par ceux qui savaient prendre le temps de savourer des petits plaisirs de l’existence. En effet, le cerveau d’une personne attentive et concentrée sur une tâche crée de la sérotonine et autres substances stimulant les neurotransmetteurs.
Le bonheur à portée de qui ?
Comme l’a indiqué Stéphane Garelli, professeur de compétitivité mondiale à l’IMD, « Nos besoins sont limités mais nos désirs sont sans fin », évoquant par ailleurs le changement de comportement des consommateurs, qui n’achètent plus par besoin mais par convoitise. Du temps des philosophes grecs déjà, Frédéric Lenoir a rappelé que ces derniers se demandaient comment transformer les plaisirs en bonheur. Trop souvent aujourd’hui, la recherche du plaisir dans l’intensité mène à la frustration, le désir s’avérant trop souvent mimétique et insatiable. Comment ces satisfactions immédiates pourraient laisser la place à un état nous permettant d’atteindre la sérénité indépendamment des stimulations extérieures ? Selon les Epicuriens, il convenait de limiter les plaisirs pour mieux les savourer. Prôner la modération permettait au bonheur de se construire avec raison. Avec la Renaissance et Spinoza pour qui la joie de vivre n’était pas incompatible avec l’équité, la clé du bonheur résidait dans la connaissance de soi-même : être heureux impliquait un travail sur soi-même. La sagesse asiatique rejoint alors la philosophie grecque : le bonheur, comme le malheur, est en nous. Contrôler ses émotions et ses pensées pour réagir de manière appropriée revient à devenir responsable de son bonheur. Les Taoïstes aspiraient à la souplesse pour être heureux, s’adaptaient et accompagnaient le mouvement de la vie. En conclusion, Frédéric Lenoir a conseillé de gérer ses choix pour éviter d’être malheureux, d’aspirer au bonheur tout en acceptant de ne pas y parvenir. Et dans un environnement décrit par Stéphane Garelli comme devenu plus compliqué, plus volatil et dans lequel interviennent des joueurs des économies émergentes beaucoup plus nombreux, il n’est pas exclu que cela se produise. Les modes de calcul évoluant sans cesse, l’ancien directeur du World Economic Forum a insisté sur la nécessité de croire en ses intuitions, comparant même avec humour la croissance économique à un âne : lent, puis rapide, puis lent, sans que vous ne sachiez pourquoi !