Les pierres précieuses de couleur verte sont parmi les plus recherchées au monde. Ce que révèle l’amour de la tsavorite, du péridot et bien sûr de l’émeraude, c’est le goût du luxe, mais aussi, quelque part, l’aspiration à l’immortalité.
Le cinéma va redonner vie à la méchante sorcière « Maléfique » : lorsque celle-ci tentera de se rebeller et que sa bague verte jettera des éclairs maléfiques, le royaume et nous-mêmes n’aurons plus qu’à bien nous tenir. Évitons de nous retrouver pris entre les fronts si, de surcroît, les forces de nature s’en mêlent – comme il y a 65 millions d’années, quand l’eau et le feu ont forgé les émeraudes dont le vert profond est une promesse de paradis. Découverte par les Égyptiens, adorée par les Romains en tant que talisman (ils croyaient que la pierre changeait de couleur quand une personne proférait un mensonge), cette pierre provient de mines dont les plus importantes, trouvées par les conquistadors en quête d’Eldorado, sont aujourd’hui en Colombie et au Brésil. Certes, la Cité d’Émeraude n’existe que dans le conte du « Magicien d’Oz », ainsi que dans l’interprétation récente qui en a été donnée avec la collection Cinemagia de Bvlgari, sous la forme d’un collier éponyme arborant en son centre une émeraude de 21,49 carats.
En revanche, tout le monde connaît les jardins d’émeraudes : c’est ainsi que les joailliers appellent les inclusions caractéristiques, dites « jardins », qu’elles comportent. Celles-ci dévoilent des paysages miniatures d’une exquise beauté qui trahissent l’origine de la pierre. Les émeraudes sont classées en diverses catégories en fonction de leur teinte, de leur saturation et de leur clarté. Les pierres vert foncé à la couleur intense sont rares et convoitées. « Fura » est la plus grosse émeraude non taillée au monde : elle pèse plus de deux kilos et sa valeur est inestimable.
La créatrice de mode Coco Chanel était, elle aussi, un joyau d’une valeur inestimable et aux multiples facettes ; elle accordait aux bijoux fantaisie la même valeur qu’aux véritables bijoux et portait les deux en même temps. Pour le reste, Mademoiselle Chanel menait une vie passablement peu conventionnelle : elle alignait les amants comme d’autres les perles d’un collier. L’un d’eux, le Grand-Duc Dimitri Pavlovitch, cousin du tsar Nicolas II, l’initia à l’esthétique baroque de la Russie à laquelle la maison rend hommage avec sa collection actuelle de Haute Joaillerie Le Paris Russe de Chanel : on y trouve de superbes aigles bicéphales en diamants, des médaillons solaires rayonnants, des motifs d’épis de blé verts tourmaline et des modèles folkloriques semblables à un labyrinthe parsemé de pierres multicolores.
Alessandro Michele, directeur de la création chez Gucci, s’est aventuré dans le Hortus Deliciarum. Pour les uns, c’est un somptueux ouvrage de littérature médiévale conventuelle (le Hortus Deliciarum est une encyclopédie du XIIe siècle) ; pour les autres, c’est une série d’ornements corporels excentriques. En effet, Michele crée des bijoux qui auraient aussi bien convenu aux Borgia qu’aux Kardashian : des objets de dévotion tels que des croix et des coeurs transpercés de flèches (au grand ravissement de Cupidon) se conjuguent pour réaliser un bestiaire de lions avalant des pierres précieuses, d’animaux fabuleux mi-panthères, mi-baleines et des colliers qui font plus punk que parure. C’est précisément dans ce clash des cultures et des siècles que réside la poésie de la toute première collection de Haute Joaillerie de Gucci. Celle-ci ne compte pas moins de deux cents pièces, dont bon nombre de pièces uniques, librement adaptées de la devise : « More is more and less is a bore ».
On ne lésine pas non plus sur les bijoux exposés sur le tapis rouge. En réalité, celui-ci verdit de plus en plus, et cela, nous le devons au joaillier suisse Chopard dont l’entreprise a décidé d’adhérer aux principes des achats durables et éthiques d’or et de pierres précieuses. En 2016, Caroline Scheufele a conclu un partenariat avec Gemfields, le plus grand producteur mondial de pierres précieuses de couleur, et a présenté une collection spéciale « Green Carpet » utilisant des émeraudes acquises de manière responsable. En 2019, la collection annuelle « Red Carpet », inspirée par le thème de l’Amour, est notamment sertie dans un ensemble extravagant composé d’un collier et de boucles d’oreilles constellés de saphirs, d’améthystes, de grenats, de topazes et de tsavorites.
Il fallait assurément une passionnée des romans de chevalerie pour réaliser la collection de bijoux « Riders of the Knights » de Francesca Amfitheatrof pour Louis Vuitton. L’amulette talisman dont le centre est constitué par un médaillon en lapis-lazulis entouré de deux rangs de 70 saphirs et 100 émeraudes a nécessité des mois de travail. La créatrice joue de manière tout aussi virtuose avec les lignes graphiques et les formes architecturales dont les composants esthétiques rappellent les forteresses médiévales avec leurs pont-levis, leurs herses et leurs chaînes.
C’est aussi l’Amour qui a été au coeur du processus créatif du joaillier français Van Cleef & Arpels : Roméo et Juliette, le couple d’amoureux le plus célèbre au monde, est désormais définitivement immortel. Le destin de ces deux jeunes amoureux s’accomplit dans des jardins regorgeant de pierres précieuses dont les murs flamboyants protègent le secret. Plus de cent pièces figuratives et abstraites touchent au coeur, tout comme la scène du balcon où le destin prend son élan et où Juliette s’écrie : « C’était le rossignol et non l’alouette dont la voix perçait ton oreille craintive ». Et c’est la certitude amoureuse qui s’exprime à travers le vert profond des émeraudes colombiennes qui envahissent le balcon comme du lierre.
Ainsi, toute histoire se conclut par la pierre verte de l’espérance qui, on veut le croire, place celle qui la porte sous la protection des Dieux. Peut-être que « Maléfique », l’ange déchu, finira-t-elle quand même par se transformer en bonne fée.
