Inventeurs sans frontières

A la croisée des chemins entre le monde industriel et celui du luxe, l’horlogerie mécanique possède une manière bien particulière d’innover. Suprême paradoxe, elle doit progresser à l’intérieur d’un corpus de solutions qui remontent à plusieurs siècles. Le rouage, l’échappement à ancre, le ressort spiral, le remontage automatique, l’indication analogique ont émergé entre 1450 et 1800. Leur lent perfectionnement a amené l’horlogerie à un état d’aboutissement qui, dans les années 60, avait atteint un plateau. Or comme toute industrie, celle-ci doit inventer sans cesse des nouvelles approches. Sans cela, elle s’expose à ce que l’on nomme des innovations de rupture, dont le régulateur à quartz avec alimentation à pile fut la plus emblématique.

 

Echelle

Or pour la plupart, les marques horlogères sont petites comparées aux mastodontes industriels. Le secteur horloger suisse en entier réalise un chiffre d’affaires inférieur à celui du seul groupe Volkswagen ou du géant de la chimie Dupont. Et l’innovation coûte cher, surtout lorsqu’il s’agit de la diffuser. Car sans grande échelle de production, il est impossible de rentabiliser l’effort de recherche et de développement. Alors l’horlogerie a trouvé sa voie propre : elle s’inspire, elle adapte, elle récupère. Les grands horlogers du 18e siècle étaient des mathématiciens, des serruriers, des spécialistes de l’astronomie. Touche-à-tout de génie, les Breguet, Berthoud, Graham pouvaient aussi bien créer des chronomètres que des verrous, des thermomètres et autres outils de métrologie. Mais ces acteurs étaient isolés par la distance géographique, par le manque de moyens de communication ou par les murs de neige qui enclavaient les vallées suisses l’essentiel de l’année. L’ouverture d’esprit était une question de survie.

 

 

Ouverture

L’horlogerie contemporaine n’a pas vraiment changé. En se décloisonnant, elle va chercher des existants qu’elle adapte à ses besoins. Les traitements de surface de type PVD ou DLC sont issus du domaine de la machine-outil. On les utilise pour limiter la friction sur des plateaux de chargement ou pour durcir des outils de coupe. La céramique dite high-tech, même avant que Rado ne s’en serve dans les années 80, servait à l’isolation thermique dans la métallurgie et le spatial. Ce dernier domaine fournit des matériaux que l’on qualifie de nouveaux en horlogerie alors qu’ailleurs, ils sont déjà communs. Certains alliages ultra-légers comme l’aluminium-lithium, le nanotube de carbone comme l’utilise Richard Mille, les polymères ultra-durs qu’emploie HYT ou les applications de la fibre de carbone en sont des témoins.

 

Main tendue

Il faut dire qu’il y a encore dix ans, les horlogers mettaient un point d’honneur à se distinguer de leurs collègues issus des filières ingénieurs. Pour nombre d’entre eux, l’horlogerie était un monde à part, avec ses règles et surtout, ses interdits. Les barrières ont fini par tomber, les tabous aussi. Ce fut la porte ouverte à l’introduction de matières nouvelles, la plus intéressante étant le silicium utilisé pour réaliser des spiraux, balanciers et ancres issus du monde des semi-conducteurs. A l’origine, il s’agit d’une recherche fondamentale du CSEM, un laboratoire de recherche privé basé à Neuchâtel. Il est partie prenante de l’échappement que vient de présenter Vaucher Manufacture, le système Genequand. Et on ne compte plus les projets initiés par l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. L’horlogerie profite pleinement de la structure de diffusion de la connaissance propre au monde contemporain, et au pragmatisme de la filière suisse en particulier.


Journaliste expert en horlogerie et correspondant régulier de WorldTempus, David alimente notre rubrique technique.

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